La peste de Verdun à Montech en 1630-1631

Quand le mal contagieux se répand et sévit

Venue de l'Auvergne, dès 1628, la peste atteint le Rouergue, touche Toulouse, à la fin de cette année-là et Montauban, en septembre 1629. Elle sévit ensuite dans les vallées du Tarn et de la Garonne, en semant partout l'épouvante et en provoquant la mort dans les villes comme dans les campagnes. Elle touche Verdun du 16 avril 1629 au 21 février 1630 et fait 143 victimes de « maladie contagieuse » entre ces deux dates. La ville de Montech est touchée un peu plus tard. Comme cela apparaît dans les minutiers des notaires et les registres paroissiaux où figurent des indications, le premier cas mentionné dans un testament date d'octobre 1629 et il est le seul pendant un an.
Les testaments des pestiférés enregistrés dans les minutiers constituent une source précieuse d'informations puisqu'ils mentionnent « la maladie contagieuse » du client dont le notaire se tient éloigné, généralement en plein air. A Montech, écrit l'archiviste Raymond Daucet, « le notaire Pierre Valès a eu le courage d'affronter l'épidémie ». Du 28 novembre au 19 décembre 1630, il reçoit 11 testaments et du 31 mai au 28 octobre1631, il en rédige 80. Ce notaire consciencieux va à la rencontre des malades isolés dans leur métairie, ou placés dans des cabanes ou dans des huttes ; il arrive qu'il communique par une porte ou par une fenêtre en restant dans la rue ou sur la route de manière à n'avoir aucun contact avec le pestiféré.
Voici quelques extraits de ces testaments : « L'an mil six cent vingt neuf et le 23 octobre dans un petit clos de ferme sis au faubourg de Las Cabanes de la ville de Montech, Jacques Berrye dit Massiot, brassier, habitant Montech et mazage des Menesure ? lequel estant infect et craignant d'estre surprins de la maladye contagieuse ». « Au-devant de la metterye de feu Jean Carbonnye au lieu dict Saint Blaise, jurisdiction de la ville de Montech Antoine Anglas dit Gabrielou, charpentier habitant de Montech « lequel estant atteint de la maladye contagieuse et craignant de mourir » fait son testament, le 28 novembre 1630, en présence du notaire éloigné de lui. Le même jour, cet intrépide tabellion enregistre le testament du frère, Pierre Anglas, « craignant d'estre surpris de la maladye contagieuse » et aussi celui de l'épouse Anne de Carbonnye « attendu la maladye contagieuse qui est dans leur maison ». Ce quartier est dramatiquement touché par l'épidémie. Dans la même journée du 23 avril 1631, une malade, Jeanne Gendre, dicte deux fois son testament au notaire, le matin et l'après-midi. Dans l'intervalle, son fils unique également malade et qui avait été désigné comme légataire a succombé. Cette hécatombe dont le notaire est le témoin a certainement de quoi l'inquiéter, mais on avait déjà compris qu 'il fallait s'éloigner des pestiférés...

Les consuls et les habitants face à la peste

Si les registres des délibérations consulaires ont disparu à Montech pour cette période, nous savons exactement ce qui s'est passé à Finhan dont la dramatique épidémie de 1629-1630 est longuement analysé dans l'ouvrage : La peste dans l'espace tarn et garonnais à l'époque moderne de Rino Bandoch, Jean François Delord et Jean-Louis Combes. Deux personnes sont décédées dans cette communauté où les consuls se réunissent, le 15 novembre, devant le four banal et conviennent qu'« à cause de la maladie contagieuse de laquelle le présent lieu est présentement affligé, il serait nécessaire pour éviter un plus grand mal et qu'il pullule davantage, de faire garde de santé et créer un capitaine de santé d'icelle avec des gardes pour empêcher les habitants du présent lieu de se fréquenter et mêler ensemble et faire tenir chacun à son devoir, prendre garde que les personnes infectes ou qui seraient soupçonnés de l'être ne sortent de leurs maisons et huttes ». Obligation est faite aux habitants de tenir les rues propres, avec l'interdiction d'y jeter des ordures susceptibles de propager le « venin pestilentiel ». Les familles des notables quittent la ville et se réfugient dans les métairies à la campagne.
Lorsque les consuls ne s'enfuient pas, ils entendent exercer une surveillance efficace sur les malades. Ils exigent la fermeture des portes de la ville et se hâtent de faire édifier des cabanes ou des huttes dans des champs éloignés pour y enfermer les pestiférés et tous ceux qui étaient astreints à la quarantaine. Les cabanes des « infects » du lieu dit Raffié sur la route de Lacourt-Saint-Pierre ont été installées à l'initiative des consuls de Montech soucieux d'éloigner les pestiférés de leur cité.

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Dans les bourgs touchés par la peste, des fossoyeurs ou porteurs de cadavres sont embauchés. Souvent appelés des « corbeaux », ils portent un masque à long bec et sont engagés pour conduire les malades aux cabanes, hors de la ville, ou bien pour ensevelir les morts. Les maisons des malades sont systématiquement désinfectées au moyen de fumigations à base de plantes aromatiques, notamment de bois de genièvre.
La contagion était comprise comme une contamination provoquée par l'air vicié parce que, croyait-on, l'exhalaison des personnes infectées répandait le miasme pestilentiel autour d'elles. Les médecins s'efforçaient de protéger les organismes de l'action du venin pestilent qui, selon l'enseignement de la Faculté, altérait les humeurs et menaçait la fonction cardiaque.

On sait, seulement depuis le XIXe siècle, que la peste est transmise par la puce du rat qui inocule à l’homme le bacille de Yersin. La nécrose de la peau provoque un noircissement autour de la piqûre et s’accompagne d’une forte fièvre. Sous le « charbon pesteux », un ganglion gonfle, il s’agit d’un bubon qui devient dur et douloureux. Trois individus sur quatre atteints de cette peste bubonique meurent en deux semaines. Une peste pneumonique peut aussi se déclarer et se transmettre directement d’une personne à une autre par la salive en déclenchant toux violentes et crachats sanguinolents. Le malade est très contagieux et meurt en deux ou trois jours.

L’Église invitait à la prière et prônait la résignation

Des prières publiques sont partout ordonnées. A Castelsarrasin, Saint Roch, protecteur des pestiférés, est particulièrement imploré. Le 18 décembre 1628, les consuls décident d’offrir une lampe d’argent à la chapelle de Notre-Dame de Garaison (près de Lannemezan) et de l’y faire porter « dès que les chemins seront libres et que la maladie aura cessé »

Construite au début du XVIe siècle, une chapelle dédiée à Saint-Roch existe à Montech. Sans doute donne-t-elle lieu à des cultes particuliers afin d'implorer la protection de celui qui a été honoré comme un saint bien avant sa canonisation ?

Face à ce "fléau de Dieu", les habitants imploraient secours et miséricorde : « A peste libera nos domine », « libère-nous Seigneur de la peste », chante-t-on lors des processions solennelles organisées dans les paroisses. Mais les fidèles pouvaient ajouter à leur complainte : « Seigneur libère-nous aussi de la guerre et de la famine », car les dégâts causés par les déplacements des troupes qui ont désolé tout le pays montalbanais dans les années 1620,sèment la misère dans les campagnes en provoquant la disette ou la famine.

Si la peste provoque une forte mortalité et un grave déclin démographique, elle s’accompagne surtout d’un fort déclin de l’activité économique. Les travaux des champs sont interrompus et les prix des grains augmentent avec pour conséquence une disette, voire une famine, pour les plus pauvres. Les boutiques sont fermées et les marchés n’ont plus lieu. Les artisans n’ont plus de besogne et leurs ressources diminuent. La crise nourrit la crise, d'autant que ces épisodes pesteux se produisent pendant l'été au moment où se font les principales récoltes…